Les coups de hache sur le blindage de la porte raisonnent dans l’ancienne salle de garde, enflent sur les voutes médiévales, ricochent dans le colimaçon de la tour.
Il
est
là,
derrière,
cognant méthodiquement le chambranle pour l’éclater.
Elle
est
là,
à genoux.
Tétanisée.
Il faudrait qu’elle rejoigne sa sœur Anne, là-haut, qui ne voit rien venir. Il faudrait qu’elle fuît par l’escalier. Fuir la mort, inéluctable, dont elle entend les pas : un, un, un qui s’approche d’elle à chaque cognée.
La mort. Elle en a vu la face atroce, tout à l’heure quand poussée par une terrible curiosité, elle a pénétré dans LA pièce. La seule dont il lui avait interdit l’accès de toutes celles de son ile-forteresse dans laquelle ils s’étaient installés après leur récent mariage. En y entrant, l’horreur avait pulvérisé sa raison. Les mots s’anéantissaient avant même qu’elle puisse les penser. Ils étaient aspirés par la béance qui venait de s’ouvrir devant elle, la précipitant dans l’antre de l’enfer.
Ces fioles rouges… Emplies de sang ?
Ces organes baignant dans le formol… Des cœurs ?
Ces robes maniaquement étiquetées de prénoms de femmes… Celles que portaient les co.. les troncs de corps alignés en photos sur le mur ?
Comme un coup de massue disloquant sa sidération, le bruit de sa clef heurtant le sol l’avait réveillée : elle avait épousé un serial-killer ! Au-dessus de sa tête, sur l’écran de retour de la caméra pointée sur elle, il se repaissait du spectacle. Sa laideur le rendait d’ordinaire inexpressif mais il était transfiguré : son visage dévoilait une noirceur intense. A travers ses yeux transparaissait son âme : les ténèbres du mal fondaient sur elle.
La terreur dans sa forme la plus absolue avait glacé la plus petite goutte de son sang. Elle avait fui vers sa sœur, venue les voir cette semaine. Pendant qu’elle hoquetait pour lui décrire ce qu’elle avait découvert, ses jambes s’étaient affaissées. Inertes. Son aînée, Anne avait alors barricadé la seule ouverture de la pièce, saisi son portable, couru au sommet, seul endroit du domaine où l’on captait pour appeler la police.
Et il était déjà là. Comment avait-il fait aussi vite ?
Il
est
là…
« Anne ? Anne ? Ils arrivent ? »
« Le soleil flamboie, je ne vois rien venir »
Il faudrait qu’elle se lève mais son corps est impuissant à réagir. Elle est hypnotisée par le rai de lumière qui vient de perforer la pénombre. Juste au-dessus de la serrure. Il s’élargit un peu plus à chaque coup.
« Anne ? Anne ? Ils arrivent ? »
« La mer bleuoie, je ne vois rien venir »
Il frappe, il cogne, l’interstice grandit. Inexorablement. Il s’acharne, il peut y passer le poing.
Han,
han,
han.
Aux fracas métalliques s’ajoutent désormais la respiration du démon, perceptible à travers le trou, comme le souffle pestilentiel du tombeau qui s’ouvre pour elle.
« Anne ? Anne ? »
Les sirènes des vedettes de la police couvrent la réponse de sa sœur…
Et bientôt, la mort changerait de camp.
Photo : merci Caroline Morant
Je participe à cet atelier pour progresser alors n’hésitez pas à commenter sincèrement pour faire la chasse à toutes faiblesses, erreurs, longueurs, fautes d’orthographe… Merci de votre honnêteté.
L’ambiance est un peu glauque mais le récit est bien mené sauf que la chute me paraît expédiée. Il manque quelque-chose pour la fin du récit.
Réflexion faite, ce récit décrit bien ce qu’est un cauchemar ; il n’y a donc peut-être pas de cohérence à avoir avec la chute du récit qui, par son caractère expéditif contribue au caractère angoissant de l’histoire. Mais on aimerait terminer sur une note plus apaisante. On termine quand même sur une certaine sidération… Mais c’est quand même bien écrit et bien mené.
Merci
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c’est vrai que j’ai expédié la fin. Mais je ne pensais pas que cela générait. En fait, j’ai voulu faire une version moderne de Barbe Bleue et de me permettre ainsi de faire des raccourcis dans le scénario de cette histoire connue. Mais j’ai peut être manqué mon coup.
A la fin de Perrault, Anne voit arriver leurs frères au galop, qui tuent Barbe Bleue avec leurs grandes épées. La femme de Barbe Bleur dont on ne connait pas le prénom hérite de la fortune du monstre, dote ses frères et sa soeur et se remarie avec un gentil-homme qui la comble de bonheur.
Voilà une fin très apaisante 😉 (contrairement à certains autres des contes de Perrault)
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bon, j’ai rajouté : « Et bientôt, la mort changerait de camp. » pour mieux finir.
C’est mieux ainsi ?
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Original (et terrifiant !!!) d’avoir modernisé le conte de Barbe Bleue ! Il y a un petit côté « the Shining » dans ton texte 😉
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Je ne connais pas « the shining » parce que je déteste les films d’horreur. Mais là c’est différent, c’est un conte pour enfants 😉
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C’est marrant, Elletres voir Shining et moi Shutter Island.. La tour où on lobotomise les malades… En tout cas, l’ambiance cauchemardesque est bien rendue. J’ai lu deux fois.. Une fois rapidement, à la vitesse de ma peur, en attendant de connaitre la suite, et une fois plus calmement…
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Tres original.Quandj’ętait instit, j’avais fait écrire une version à plusieurs voix de Barbe Bleue, chaque élève racontait un passage de l’histoire en se mettant dans la peau d’un des personnage ou objet important puis on avait illustré en détournant des tableaux ou une partie de tableaux. Ta version moderne est tout aussi glaçante que l’originale.
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Bel écrit d’horreur ! c’est saisissant, ce qu’elle ressent, ce qu’elle voit, vraiment réussi !
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Ah mais quelle lecture ! J’aime beaucoup, et justement, j’aime la fin rapide et soudaine. La phrase finale « Et bientôt, la mort changerait de camp. » me suffit amplement et va très bien avec le rythme du texte. Si j’ai une petite réserve à apporter c’est peut-être sur la forme, quand tu mets un mot par ligne…Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal. J’ai l’impression que peut être tu aurais pu écrire « il est là derrière » sur la même ligne avec des …, quitte à sauter à la ligne suivante pour le reste de la phrase… Bon mais ce n’est vraiment qu’un détail qui n’altère en rien la qualité du texte. Un grand bravo Blandine !
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Pour ma part, au contraire, je trouve cette forme très expressive. Elle marque les battements angoissants du cœur…
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le
« il
est
là »
me vient d’un livre que j’ai bcp aimé cet été : « Songe à la douceur » qui est une histoire d’amour très originale et très réussie à mon gout. La jeune auteur de 25 ans utilise justement la forme de son texte pour accentuer le fond (ex : le héros descend un escalier, le texte se décale avec de sauts de lignes pour figurer l’escalier). j’ai trouvé cela très intéressant. (je crois que Prevert faisait cela aussi)
ici en sautant des lignes, je me suis dit que cela gênerait le lecteur, le mettrait mal à l’aise. c’est ce que je voulais rendre…
mais c’est vrai que ce n’est pas académique…
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« Barbe Bleue » revisité … ça m’a beaucoup plu !
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