Inspiré de ce film « publicitaire » d’une minute qui m’émeut aux larmes : Les pétales de la colère – Campagne institutionnelle d’Apprentis d’Auteuil

D’un grand geste circulaire, son bras fauche les pots de fleurs alignés devant lui. Des semaines de travail… des centaines de manipulations découvertes, répétées, apprises qu’il anéantit en quelques secondes… Romain balance tout à terre. Que lui importe d’obtenir son CAP jardinier… Quel intérêt…

La terre, les tiges, les pétales s’éparpillent au sol… leurs barquettes s’écrasent en un lamentable et ridicule bruit de plastique fendu qui décuple sa colère. Il voudrait fracasser le monde, être orage et causer un tonnerre d’éclats de verre et de métal pour couvrir les beuglements de son père qui perforent son crâne depuis qu’il l’a vu ce week-end. Romain empoigne les terres cuites contenant les cyclamens, les primevères, les pensées. Il était pourtant fier après toutes ces semaines d’apprentissage de savoir les nommer, mais il les pulvérise avec toute la force de ses 16 ans, avec toute la puissance de cette révolte qui coule dans son sang comme de la lave qui éructe et l’emporte.

Le rouge des pétales étalés à ses pieds attire son regard, c’est le même coloris que celui de la ceinture de son père. Cette ceinture dont il s’est tant servi pour… pour… Tant et tant servi, qu’un juge a dû placer Romain dans ce centre d’accueil et de formation. L’autre avait obtenu un droit de visite et c’était ce week-end. Romain saisit un sarcloir et frappe, frappe encore ce rouge qu’il ne veut plus voir. Il frappe jusqu’à le broyer en un jus immonde de boue qui macule ses mains et éclabousse son visage.

Il est tombé à genoux et il s’acharne toujours…

Il n’entend pas Nicolas qui s’approche.

« Romain.

Tu es là ? »

Le garçon se raidit. Il ne maîtrise plus rien. Ses doigts se crispent sur le manche. Si son éducateur fait un pas ou esquisse un mouvement, ses muscles bandés à l’extrême se détendront et tels les crocs d’un fauve, la lame de l’outil se plantera dans la gorge de l’homme.

« Romain.

J’étais inquiet. Je t’ai cherché partout. Tu étais là ? »

Nicolas regarde l’adolescent. Il est saisi par le bleu de ses yeux. Il est dur, froid, tranchant comme de l’acier. Dans son déchaînement absolu, ce garçon est beau, d’une pureté brutale. Nicolas sourit. Il sourit à Romain. Il sait toute son histoire, son passé. Il connaît son cœur et tous ses efforts qu’il fait jour après jour pour s’en sortir. Il en a accompagné d’autres des Romain… Patience, confiance, espérance…

Des secondes s’écoulent comme des éternités.

Nicolas déploie son bras, le tend, tourne sa paume vers le ciel et offre sa main au garçon.

« Romain.

Relève toi…

Aller. Je vais t’aider à ranger tout cela »

Atelier Bric à book #286 d’après une photo d’ Emma-Jane Browne