Ecoutez… Entendez-vous au milieu des bruits alentours ?

«  1, 2, 5, 7, 10, 12, 14,…

Percevez-vous cette voix douce mais ferme, celle d’un homme qui semble ne s’adresser qu’à lui-même ?

…15, 17, 20……..45, 46, 48, 50 »

Au compte de cette cinquantaine, regardez son poing qui glisse et qui se ferme plus bas sur son grand bâton, les doigts bien joints, collés les uns aux autres. Sa main est placée moins haut que d’habitude, découvrant sur le bois une trace polie par le frottement. Distinguez-vous à la pliure de ses phalanges ces petits traits noirs, mélange de sueur, de terre et d’eau qui strient les jointures de sa main gauche ? Vous ne voyez pas ? Non, ne vous approchez pas, vous n’êtes pas chaussées pour. Le terrain n’est pas fait pour vous.

Il associe ce qu’il compte par petit paquet de deux voire trois passant des nombres pairs aux impairs qu’il énumère agilement. Quand il atteint 50, son poing se déplace et il reprend à zéro car il n’aime pas les chiffres qui suivent : les soixante-dix, les quatre-vingt, pire les quatre-vingt-dix qui mettent trop de temps à être prononcés. Du temps ? Il en a, mais pas quand il les compte, elles bougent trop vite, les paquets se meuvent, se font et se défont rapidement et il ne veut pas en oublier une seule.

« 1, 3, 4, 7, 9, 11,… 44, 47, 49, 50 »,

« et 50, ça fait 100 »

Comme à chaque fois, dire « 100 » lui procure une petite joie. Simple, mais profonde. Elles sont toutes là, autour de lui.

Toutes ? Mais que compte-t-il ? Evidemment, vous n’avez regardé que lui, l’homme. C’est vrai qu’il est beau. Pas de cette beauté qui attire les filles du village. Il est grand et fort, ça leur plait, mais ça ne suffit pas, il y en a d’autres comme lui. Ce n’est pas non plus ses cheveux, sa barbe qu’il porte comme tous les hommes de la vallée. Leur teinte ? On ne la retient pas car ce n’est pas ça que l’on remarque. Sa beauté à lui c’est son regard, son sourire. Il est. Il est là. Ne soyez pas gêné de le fixer dans les yeux. Rien d’inconvenant à cela, il le fait lui aussi. C’est ça sa différence, c’est qu’on peut le regarder et le laisser nous regarder, pas besoin de parler, tout a été échangé.

Mais que compte-t-il ? Retournez-vous sans retirer le mouchoir que vous avez mis sur votre nez sans même y faire attention. Nos narines délicates ne savent plus respirer ces odeurs trop fortes de la nature. Retournez-vous et découvrez cette centaine de dos blanc, certains purs de toute couleur, d’autres tachés de marrons ou de noir, ce groupe compact, mouvant, vous le reconnaissez ? C’est 100 brebis qu’il comptait ! Vous aviez deviné ?

Combien de fois compte-t-il son troupeau par jour, il ne saurait vous le dire. Peu importe, il le fait comme nous on respire, il le fait quand un nuage passe, quand son chien se frotte contre lui, quand il entend un bêlement, quand un oiseau se pose près de lui, il le fait et à chaque « 100 » c’est la même joie de les avoir chacune d’elles.

« 100 » ? Ce nombre l’émeut. Ce n’est pas tous les ans pareil, il varie en fonction des naissances. Cette année a été très singulière : 3 brebis ont eu des triplés. Que cela lui a donné de mal… Ce sont des complications ces multiples ! Il est toujours plus attentif quand il devine plusieurs vies naissantes chez la même brebis. Il sait. Il sait les reconnaitre ces agnelages à risque. Son œil est aguerri à ces formes. Il a veillé sur elles, les a guettées pour être là au bon moment. Il avait pris soin de les écarter des autres en les mettant dans un petit enclos de fortune. Il ne voulait pas courir le risque qu’au dernier moment elles s’écartent du troupeau pour mettre bas dans un repli du terrain ou une cavité dans les rochers. Il fallait empêcher que cet instinct, qu’elles ont trop souvent, de se cacher, ne les soustraie à son aide. Il était là pour chacune des 3 brebis, il les a aidées et a tiré sur les 9 paires de petites pattes et tout s’est bien passé.

Bien sûr, c’est toujours intéressant d’avoir trois agneaux au lieu d’un mais, ils sont plus petits, plus faibles. Les mères ne sont pas toujours prêtes ou assez solides pour en nourrir trois à la fois. Alors les premières heures, il a veillé plus particulièrement sur ces tout petits-là. Très vite, dans le dernier trio né, il a remarqué que le plus petit des trois n’avait pas assez de force pour se hisser sur ses pattes pour aller à sa mère. Il a tout de suite vu que sa brebis de mère privilégiait les deux plus gros. Inutile de se battre avec elle, la nature est ainsi, il la connaît comme s’il l’avait faite. Trois agneaux à nourrir, c’est beaucoup, elle sauvait les plus viables et délaissait le plus fragile. Inutile pour elle de s’encombrer d’une bouche incertaine. Ce petit, trop faible, était condamné à mourir. Elle gardait ses forces pour les deux autres et s’est éloignée plus loin avec eux pour qu’il ne puisse pas la suivre.

Mais notre berger était là. Avec beaucoup de douceur, il a pris ce petit agneau dans ses bras et s’est approché d’une autre brebis. Ce qu’il voulait essayer ne réussit pas toujours, mais il ne pouvait pas se résoudre à le laisser dépérir ainsi sans rien tenter. Cette brebis vers laquelle il allait, avait mis bas la veille d’un agneau mort à la naissance. Sorti d’elle, il n’avait pas bougé, il ne s’était pas dressé sur ses pattes. Elle l’avait reniflé, l’avait poussé de son museau, mais elle ne l’avait pas léché longuement, consciencieusement, comme le font les mères avec leur nouveau-né. Ce temps qu’elles prennent, toutes, avec leur agneau pour les nettoyer et les imprégner de leur odeur pour marquer qu’il est à elle, cette brebis-là ne l’avait pas pris et elle n’avait pas mis longtemps à le laisser là, gisant sur le sol et s’en aller ailleurs. Le berger avait dû prendre ce corps, trouver du bois et le bruler pour ne pas laisser la vermine et les charognards s’en approché et risquer ainsi de contaminer le troupeau avec leurs parasites. Alors, quand il avait vu que l’avorton des triplés était abandonné, il avait décidé d’intervenir et de forcer la nature. Avec beaucoup de délicatesse, il avait posé ce petit contre le museau de la mère-sans-agneau. Aidez-moi : Comment dit-on une mère dont l’enfant est mort ? Je m’agace que le mot n’existe pas… Il avait pris le temps qu’elle le sente, qu’elle le hume, qu’elle s’habitue à cette odeur qui ne venait pas d’elle mais d’une autre. Puis, en la ployant sur ses pattes, il l’avait allongé, avait exprimé un peu du lait qui n’avait pas encore tarit et y avait collé le museau du petit qui s’était mis à boire. La brebis s’était laissée faire. L’homme était resté longtemps ainsi à maintenir la mère allongée et l’agneau contre elle, caressant l’une, encourageant l’autre. Puis, il s’était éloigné un peu à l’écart, s’était accroupi, avait observé… Il avait vu que cela était bon. L’adoption s’était faite. Simplement.

Alors, « 100 », ça le rend fier car c’est un peu son œuvre ces 100 bêtes qu’il conduit avec ses chiens.

Mais aujourd’hui, il n’est pas fier de ce qu’il fait, il les brusque. Il n’aime pas devoir le faire. Il a déjà déplacé 20 fois, 30 fois, son poing sur son bâton. 100, on avance. Il presse le pas, 100, il les encourage. Sa main gauche n’est pas sur la marque habituelle, assez haute, il la pose plus bas pour que l’eau ne ruisselle pas dans sa manche. Ainsi, son bras est incliné vers le sol et la pluie ne pénètre pas son vêtement. Ses trois chiens savent ce qu’il veut d’eux. Le noir, le plus vieux est à l’arrière. Il aboie pour faire avancer les trainardes. Les deux autres courent sur les flancs du troupeau qui avance d’un même pas. Ils sont chacun d’un côté. Lui le berger, est devant, il sait où il va. Il se retourne souvent, il est tendu, il n’aime pas les mener ainsi précipitamment. Il a pris l’agneau de la plus vieille de ses brebis sur ses épaules. Voyez comme il est fort ce berger, le petit est déjà grand mais il ne lui pèse pas, il le maintient avec sa main libre. C’est le meilleur moyen pour que sa mère le suive entrainant derrière elle toutes les autres. L’esprit grégaire est si fort dans un troupeau que lorsque l’une se déplace, toutes font de même.

La terre n’est plus que boue, les pierres luisent et rendent le sol glissant. Les brebis sont trempées et exhalent une vilaine odeur de laine mouillée. Difficile d’avancer sur le chemin par lequel il les conduit, il se ravine. Elles bêlent pour se reconnaitre, elles bêlent pour appeler leur petit, elles bêlent mais elles avancent, elles suivent la plus vieille d’entre elles, elles ne savent pas où elles vont mais elles font la meilleure chose qu’elles sachent faire : rester ensemble. Maintenir le contact avec les autres. Le nombre est leur force, seules, elles peuvent être la proie de tellement de dangers.

Mais vous êtes encore là ? Je vous avais demandé de ne pas approcher ! Vous avez donc suivi la marche de cette histoire ? Imprudent que vous êtes… Je vous en prie, cette fois écoutez-moi : faites attention où vous posez les pieds, ne glissez pas, le ravin est profond. Vous êtes trempé ? Regrettez-vous de vous être fait prendre dans cette lecture ? Maintenant, vous devez continuer. Vous ne pouvez plus revenir en arrière. Vous vous perdriez. Ne réfléchissez pas. Suivez-le. Ayez confiance. Suivez-le, il ne vous conduit pas vers un champ d’herbes fraiches mais à l’abri. Ne comprenez-vous pas son inquiétude ? Vous n’avez pas l’habitude, vous ne sentez que de la pluie, certes drue mais ce n’est que de la pluie… Pourquoi donc tant de précipitations ? Pourquoi cette hâte à les déplacer ? Vous ne le savez pas parce que vous n’étiez pas là ce matin. D’ailleurs, auriez-vous senti le danger ? Lui, ce matin, il a senti le vent s’inverser. Le murmure de la brise, légère comme un souffle, remontant la vallée a tourné imperceptiblement pour s’orienter depuis le haut de la montagne. Dès lors, il a forci petit à petit. Le ciel est resté longtemps bleu, de ce si beau bleu azur, très pur. Mais de petits nuages sont apparus très haut. Ils avançaient étrangement vite, bien plus rapidement que ne le laissait croire le vent du sol. Alors des rides se sont formées sur le visage si paisible du berger. La montagne garde pour elle, plus longtemps qu’il ne le faudrait, les signes avant-coureurs de l’orage. L’orage ! Il faut se mettre à l’abri lors de ces moments où la nature se déchaine. Il le sait mieux que tout autre. Mais c’est 100 brebis qu’il devait protéger des furies et il y avait peu d’endroits propices à proximité. Il en connaissait un mais il fallait partir rapidement, ne pas perdre de temps, pour l’atteindre avant que l’orage ne s’éclate sur eux. Il avait alors épaulé l’agneau et elles s’étaient mises en route.

Les chiens se font plus pressants.

44, 45, 47,…50. Il compte, il compte, il ne s’arrête pas. La fatigue gagne les plus vieilles, les mères bêlent, encouragent leurs petits. Surtout ne pas perdre le troupeau… Surtout suivre le groupe… Ne pas se retrouver seule dans cette montagne qui leur fait peur. Cet instinct qui les rend nerveuses quand elles s’approchent du pic –parsemés d’arbres- qui cachent tous les dangers, les fait avancer plus vite, encore et encore plus vite.

Le chemin devient étroit, elles se suivent maintenant les unes derrière les autres.

47, 48, 49, ?

Ne vous faites pas bousculer. Ne cédez pas à l’épuisement et à la contagion de l’inquiétude. Vous y êtes presque. Regardez là-haut ce petit orifice noir dans les rochers, c’est là qu’il les conduit. C’est haut mais vous y serez à temps. Vous n’en pouvez plus mais il faut pourtant accélérer encore. Le soleil est au zénith à cette heure mais il fait sombre, on se croirait à l’orée de la nuit. A ce moment où les prédateurs sortent chasser. Il n’y a plus de légers nuages mais un ciel lourd, bas, on n’y distingue plus de nuances tellement il est noir. La pluie est serrée, les gouttes sont énormes, de plus en plus froides, vous montez en altitude mais ce n’est pas pour cela qu’elles se refroidissent. Vous savez que ces gouttes vont bientôt devenir de la grêle. La grêle va tomber. L’orage est là. Vous avez déjà perçu à travers les appels des brebis, les éboulis des caillasses, les crissements des sabots sur le sol, son roulement sourd et puissant.

45, 47, 48, 49, ?

Les ténèbres devant vous sont l’ouverture d’une grotte. Elle semble énorme, elle s’enfonce profondément dans le flan de la terre.

44, 45, 46, 47, 48, 49 ?

Vous n’entendez pas ce qu’il dit mais vous complétez par vous-même : « il en manque une !» Pas de juron, bien sûr ! Jamais chez cet homme. Mais une profonde inquiétude se lit sur son visage.

« Il en manque une… »

Vos vêtements vous collent à la peau. Vous tremblez de froid maintenant. Vos mollets sont tétanisés par la marche, la douleur vous fait reconnaître l’emplacement de chaque muscle dès que vous les bougez. Peu de temps s’est passé depuis que vous vous êtes laissé entrainer, mais vous êtes harassé. Vous voudriez lui proposer votre aide mais vous n’en pouvez plus. Arrêtez donc tout cela. Regardez-le. Voyez ses gestes précis. Il est inquiet mais cet homme sait ce qu’il fait. Il pousse les animaux à rentrer dans le roc. Il recompte une dernière fois une à une les bêtes. C’est facile : quand elles passent devant lui, chacune à leur tour, sous l’arche d’entrée.

« 99 », il ne s’est pas trompé.

Vous n’aviez pas remarqué le grand tas de bois sec dans une excavation. Les bergers sont ainsi. Ils ont des planques en cas de problèmes. Ils laissent d’une fois sur l’autre de quoi se protéger en urgence. Ces buches, quand les a t’il déposées là ? Difficile à deviner… Elles sont faciles à enflammer. Voyez comme son feu prend vite. Il l’a allumé à l’ouverture pour contrer le passage de l’air froid, sécher les rigoles d’eau qui s’infiltrent. La fumée est étouffante, l’air frais va manquer. La laine des brebis sent un remugle suffocant. Il a comme une épaisseur qui vous prend à la gorge. En plus de vos vêtements, cette puanteur se plaque sur vous. C’est comme une poisse dont vous ne pouvez pas vous dépêtrer. Avec le fracas de l’eau, le crépitement rassurant des flammes sont imperceptibles. Ce feu n’est pas là pour vous réchauffer mais pour interdire l’entrée de la caverne aux prédateurs. Les 99 brebis sont à l’abri ici, mais toutes parquées ainsi, elles deviennent des proies faciles sans possibilité de fuite. Acculées contre les parois de la grotte, des crocs puissants pourraient aisément déchirer l’une d’entre elles ou emporter un agneau dont on ne retrouverait pas de trace, même pas celle du sang qui serait lessivée par le torrent de pluie.

Si deux yeux venaient se planter dans les vôtres, deux yeux rougis par le reflet des braises, si ces yeux alléchés par l’odeur voyaient le buché, malgré la faim des crocs, ils repartiraient et laisseraient les brebis en paix. Depuis la nuit de la mémoire, le feu est le meilleur allié de l’homme.

Il a mis peu de temps à allumer son feu, à éparpiller une réserve de foin cachée derrière un bloc. Il ordonne aux deux jeunes chiens de garder la sortie, prêts à mordre le premier jarret qui tenterait de s’échapper. Mais nul n’en a envie. Dans cette nuit de pleine journée, les éclairs commencent à éclairer le fond de la grotte. Les brebis sont serrées les unes contre les autres… bien… ensemble… Elles n’auront pas faim, sont en sécurité, protégées de tout. Alors lui ressort, son chien noir à ses côtés. Il va la chercher. Cette fois je ne prends pas la peine de vous inciter à ne pas le suivre. Le tonnerre roule, rebondi sur les pierres, repart, fait écho dans un bruit assourdissant. L’orage en montagne est quelque chose de terrifiant. La pluie furieuse déverse sa rage et l’homme est bien faible pour affronter sa colère, mais il est ressorti. N’est-il pas fou de braver ainsi les éléments ? Que croit-il ? Qu’il va la retrouver ? Une simple brebis égarée vaut-elle donc qu’il prenne tant de risques ? Avant qu’il ne soit avalé par le rideau de pluie et de grêle, à l’éclat du dernier éclair, vous avez distingué son visage qui n’exprimait aucun doute.

Il refait le chemin inverse, le flair de son chien est impuissant, noyé dans les torrents qui se déversent sur leur passage. Ils avancent, s’arc-boutant, pour ne pas être emportés vers le précipice. A la faveur de la foudre, ils perçoivent où ils vont. Combien de temps ont-ils marché, combien d’éclats aurait-il pu compter ? 10 ? 15 ? 30 ? Il n’a pas dénombré gardant toute son attention à fouiller les falaises du regard. Là en contre-bas, sur une saillie de cailloux, il a distingué une tache blanche. Il se précipite comme il peut, sans risquer plus sa vie. Elle est là, juste en dessous. Il se penche, tend sa main pour l’attraper. Elle est trop basse. Il agrippe un buisson planté dans les éboulis. C’est eux qui sont la cause de tout cela. Il ne faut pas qu’il se fasse prendre à son tour par la traitrise de ses pierres. Cette broussaille est solidement enfoncée, il descend, s’étire de la plus grande amplitude qu’il puisse avoir mais il ne l’atteint pas. Il ne la touche pas. Il ne pourra rien, si, elle, elle reste ainsi recroquevillée sur ses tremblements. Elle ne bouge pas d’un sabot, tout faux-pas serait fatal. Elle voit son berger mais elle est paralysée par la peur. Tout est contre elle, le froid, la fatigue, le vide vertigineux de l’abime, la faim mais il ne peut rien. Rien, sans elle. Il l’appelle, lui parle, lui explique sans qu’elle puisse comprendre les mots des humains qu’elle doit bouger, qu’il ne pourra pas la sauver si elle ne se relève pas, si elle ne redresse pas, doucement, prudemment, chacune de ses pattes pour gagner le peu d’espace qui les sépare mais qu’il ne pourra pas combler seul. Il l’encourage, ne s’énerve pas, sa voix est apaisante, la brebis se calme, hésite… longuement… un frémissement parcours son échine… elle lève une patte… puis deux… puis trois et quatre. Elle a réussi ce tout petit acte si ordinaire quand il s’agit d’aller brouter une herbe folle et délicieuse mais qui ici est tellement dangereux. Son corps se déploie adroitement, la laine de son dos affleure les doigts de son maître qui dans un dernier élan l’empoigne fermement. Il déploie la force de son bras, il ne lâchera plus sa prise et tire à lui tout le poids de la chute.

Il la pose contre lui, frictionne son museau, enfouie son visage dans la pelisse boueuse mais quelle importance ! Il est tout à la joie de l’avoir retrouvée, qu’elle ait pu se redresser sans déraper.

Elle lui paraît bien légère maintenant qu’il la ramène sur ses épaules. L’épaisse toison le protège de la morsure glacée des grêlons. Il remonte vers le refuge rocheux, l’orage n’a plus d’importance. Elle est là. Plus tard, il lavera ses vêtements lacérés et trempés de terre. Plus tard, il se reposera. Elle est sauve.

Il la ramène à son troupeau qui paisse tranquillement l’herbe sèche de la grotte. Quelques brebis remarquent leur retour mais reviennent bien vite aux brins de foin qu’elles doivent avaler avant qu’une autre ne le fasse avant elles.

« 49 et une… 50, et 50…

100 »