Persée… Son prénom était aussi étrange, qu’il était prédestinatoire.

Persée… celui qui affronte l’effroi statufiant de la mort… sans trembler. Celui qui tranche la tête de la Méduse… sans faillir.

Petit, en grandissant, il avait tant de fois expliqué cette histoire aux curieux qu’elle l’avait conduit, modelé, jusqu’à ce qu’elle devienne sienne…

Au service oncologie pédiatrique, on ne l’appelait pas Docteur, comme ses collègues, mais : Persée. Simplement. Un peu comme une incantation, un recours à un pouvoir qu’on lui accordait. Lui n’avait pas peur : il l’affrontait cette gorgone qui défigurait la vie, dénaturait l’innocence, volait l’enfance… toujours, et la tuait… parfois.

Inlassablement, il soignait. Chaque petit qui arrivait. A chacun, il promettait qu’on pouvait s’en sortir. Il y croyait. Il avait vu tant de guérisons. Il l’avait décidé : en chacun, il espérerait. Et il était là. La nuit. Au quotidien. Dans l’urgence. Il était là, dans les chambres, dans les couloirs, dans les salles de réunion, aux formations et aux congrès, jamais il ne s’arrêtait. Il était là pour les éclats de rire. Oh non, il n’y avait pas d’offense, pas d’indécence à s’amuser même quand la maladie guettait la faille pour leur planter ses yeux venimeux dans leur peau. Il était là, condensé, en un souffle, une écoute, un regard quand l’accablement s’incarnait dans ces petits esprits, aux corps rongés par le mal, ouverts par les opérations, attaqués par la chimie.

Il était là et il souriait. Oui, il était confiant. Pourquoi aurait-il tant étudié, passé tant de temps, consacré tant de sa vie si sa présence n’avait pas eu de sens, là où il avait choisi d’être ? Il avait une voix douce, si calme, comme un baume pour le cœur. L’écouter était comme une berceuse, chaude et rassurante qui vous emmenait dans un rêve et éloignait les cauchemars. Quand il était là, c’est lui qu’on regardait, attiré par la force de la vie. On lui laissait la charge de renvoyer la mort à elle-même. Avec lui, protégé, derrière son bouclier, elle n’avait pas sa place. Et c’était si bon…

Il s’appelait Persée. Et on ne savait rien d’autre de lui. Rien de ce qu’il était vraiment. Son service, ses patients, leurs parents… s’accommodaient de son mythe qu’on ne cherchait pas à confronter à sa réalité. On en avait oublié sa personne derrière son personnage. Alors, quand il avait annoncé sa démission, on n’y avait pas cru. On avait été stupéfié : il arrêtait pour partir, et non pas pour un autre travail, assuré, ailleurs. Il l’avait senti et l’expliquait convaincu : il avait accompli son temps. Il avait besoin de changer d’horizon. Pour penser un peu à lui, enfin… Il avait pris son élan, et tandis qu’il quittait toutes ces années de service comme on saute une barrière qu’on croyait infranchissable, il avait découvert un nouvel espace qui s’offrait devant lui.

On avait pleuré, malheureux comme des orphelins, ce départ qu’on avait compris. Et chacun dans son cœur, on avait conservé cette image : un ciel lumineux que les nuages noirs ne savaient pas menacer. Et c’était bon… encore… malgré l’absence…

 

Photo : Brodie Vissers

Atelier Bric à book #298


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