SAMIA s’aime… depuis ? Depuis qu’elle est douée de pensées et de paroles. Petite, elle voulait s’appeler Blanche comme Blanche Neige car face au reflet que lui donnait le miroir, elle avait perçu très tôt que nulle autre ne saurait égaler sa beauté. Elle avait su gré à ses parents de s’éblouir d’elle. N’était-ce pas une preuve de la justesse de leur jugement que de la trouver « magnifique » ?

Elle avait été à l’école. Elle y avait appris à lire, compter mais surtout écrire. Cela lui permit de recevoir une révélation céleste. Son prénom était l’incarnation de cette évidence : il fallait qu’elle S’AIMA. Cet anagramme sonnait comme une injonction divine, qu’elle avait sitôt voulu apporter à ses camarades. A leur tour, ils devaient reconnaître l’ineffable chance qu’était sa présence à leur coté. Mais ces rustres, déformés par leur banalité, par la fadeur de leur vie étriquée n’avaient pas su l’admirer. Ils ne réussirent jamais à lui offrir la déférence dont elle était digne.

Parmi ses congénères, elle alla, vécu. Le plus souvent, seule, regrettant parfois qu’aucun ne l’admire à sa juste valeur mais finalement elle se satisfaisait dans son unicité. A se mirer dans la glace, elle comprenait que tant de splendeur condensée en sa personne ne pouvait qu’éveiller la jalousie des autres ou les aveugler. Elle grandit se nourrissant d’elle-même.

Vint l’adolescence et ces premiers amours. Ce qu’elle aima chez les garçons fut la reconnaissance qu’ils lui témoignèrent quand elle daignait leur accorder son attention. Mais ces ingrats ne mesuraient pas assez ce privilège. Lassée, elle rompait.

Adulte, elle adopta les selfies. Enfin affranchie de l’asservissement du miroir, elle pouvait jouir à tout instant des photos rayonnantes de son être. L’histoire se répétait : pas plus matures, les garçons devenus hommes lui reprochèrent cette collection d’elle-même. Elle les quittait eux-aussi. ces compagnons ne saisissant pas combien ces clichés apportaient à l’humanité. D’ailleurs, elle en avait eu la confirmation éclatante récemment. Alors, qu’Armando, son dernier amant lui faisait un chantage honteux lui reprochant son soi-disant narcissisme (il avait osé lui poser un ultimatum : choisir entre son téléphone et lui !), elle avait saisi son appareil et s’était immortalisée, elle, et la fontaine qui scintillait derrière. L’idiot lui avait tourné le dos et s’était retiré. Le lendemain, le sort prouva au monde son importance : répondant à un appel à témoins, son selfy avait permis de prouver la culpabilité d’un pique-pocket que la police cherchait depuis longtemps à prendre la main dans le sac. Tout était là, sur sa photo : Samia, la foule, le flagrant délit.

Oui, décidément, sa présence était une bénédiction pour le genre humain ! Samia s’aima d’autant plus…

 

Atelier Bric à book #297