A trois de mes belles sœurs : à partir d’une idée d’Anne-Charlotte


Quelle bonne journée !

Ludovic s’étend sous la couette. Satisfait. Il avait prévenu sa femme qu’il rentrerait tard, profitant de ce jour de relâche pour faire l’aller-retour à Hossegor et s’accorder une session de surf. Sa femme lui avait répondu qu’ils ne se croiseraient pas, elle était de nuit à l’hôpital. Il se l’avoue : son absence est une bonne chose. Elle lui aurait gâché son plaisir. Ces derniers temps, un rien les irrite, chaque discussion devient un accrochage.

Seul dans son lit, il repense avec jouissance à ces glisses qu’il s’est offertes dans les vagues. Il s’étire avec volupté quand sa main croise le froid d’un petit objet dur. Il le prend et reconnait son pendentif. C’est un disque évidé, gravé dans le plein du métal « tous pour un, un pour tous ». Il sourit. La devise n’est pas originale mais ses cinq camarades et lui sont plus fort pour les sports de l’extrême que pour les mots. En fondant leur groupe de parachutistes acrobates, les baroudeurs inséparables avaient scellé leur association en s’offrant cet anneau plat qu’ils s’étaient juré de porter… Toujours !

La fixation est ouverte, demain, avant de partir au grand meeting aérien qu’ils animeront ensemble, il prendra une pince pour la réparer et la raccrocher à sa chaine. Sa main attrape machinalement le collier et s’arrête brusquement sur… le disque plat évidé. Avant que ces idées ne se rassemblent, il sent le froid du métal se propager dans tout son corps, quelque chose le glace jusqu’à la moelle. Ces bijoux sont uniques. Il n’y en a que 6 exemplaires. Avec une violente férocité, une pensée traverse sont esprit : si lui a son pendentif autour du cou mais qu’il en a un autre dans sa main, c’est que… c’est que… son sang s’épaissit, devient comme du plomb incandescent qui lui brûle les veines, c’est que… l’un de ses cinq camarades a… Des images apparaissent comme des griffes qui lui labourent tout le corps… Pour que cet autre pendentif se détache, l’un d’eux a dû… des crocs se plantent dans son esprit et lui arrachent la raison.

L’un d’eux…

dans son lit..

avec sa femme…

 a dû…

Dans cette nuit qui s’écoule, chaque seconde le torture. La folie le guette. Amour, amitié, tout est pulvérisé en une bouillie abjecte sous la puissance du mot : Trahison.

Au matin, une décision a émergé de cette dévastation…

Dans le hangar de l’aérodrome, ses cinq camarades et lui préparent leurs parachutes pour le saut qui clôturera le meeting qui a rassemblé des milliers de personnes cette semaine. Ses gestes sont calmes et précis. Pas d’hésitation, pas d’agitation. Il rassemble plusieurs suspentes de la voile. Il les insère ensemble dans l’accroche du pendentif. Il la ressert avec une pince. Tout à l’heure, lorsque le parachute se déploiera, déséquilibré, il vrillera en torche. Il plie le tout. Il tire la glissière de la fermeture. Il pose le sac à coté des autres, identiques au sien. En preuve de confiance de leur amitié inaltérable, ils respectent cette tradition : chaque sac est arrangé comme pour soi puis tiré au hasard par un autre.

Le sort frappera. La mort en surprendra un. Qu’importe le sacrifié. Il n’y a plus de vie possible pour eux.

 

Atelier Bric à book #289